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Le manteau d’écorce

Le manteau d’écorce

Maefyn,Yanir de Meicos

 

  Le Conseil de notre guilde nous a officiellement envoyés à Ochangwar pour « découvrir la source du fleuve Cal ». Mais nous savons que cette escapade a beaucoup plus de valeur qu’elle n’y paraît. Mes deux compagnons et moi-même sommes toujours en route vers l’ouest du Taneris, là où l’orée semble ravagée par un mal ancestral. Meilhan Sohlos, ce sont des milliers d’arbres qui dépérissent plus vite que leurs congénères, laissant un spectacle de désolation, alors que la forêt autour paraît se porter à merveille.

 

  Myemyn, Yanir de Meicos

 

  Cela fait maintenant cinq jours que nous avons quitté Mora-Fohorim. Nos montures supportent plutôt bien le voyage, extrêmement venteux pour la saison. Depuis la fin de l’après-midi, la région de Meilhan Sohlos est en vue, tout au loin. Demain, il nous faudra nous séparer de nos chevaux pour continuer seuls le chemin, à pied. Ce qui rend Ochangwar si mystérieuse n’est pas le fait qu’elle soit hostile ou même dangereuse. L’unique raison qui explique le peu de connaissances que nous en avons, et donc qui y justifie notre mission, provient de la nature physique de sa constitution. En effet, à peine fait-on deux mètres que, dit-on, les arbres et les ronces se resserrent, formant une muraille impénétrable. Par conséquent, le meilleur moyen de progresser au plus profond d’Ochangwar est d’y entrer par la zone de Meilhan Sohlos, plus accessible, mais aussi beaucoup plus dangereuse pour les voyageurs. Nous la traverserons, puis tenterons de rejoindre le Cal dans sa partie forestière, avant de le remonter jusqu’à sa mystérieuse source.

 

  Ikhyn, Yanir de Meicos

 

  Nous sommes à l’orée de Meilhan Sohlos. Nous avons décidé de la longer une bonne partie de la journée, afin de trouver un endroit plus propice pour y pénétrer. Nous avons tranché pour une sorte de sentier naturel, qui s’enfonce droit devant, parmi les arbres dépérissants et les souches rongées par la terre stérile.

 

  Dolymyn, Yanir de Meicos

 

  Notre périple dans la forêt d’Ochangwar a commencé aujourd’hui. Nous avons marché une bonne partie de la journée, sans croiser la moindre trace de vie animale. Une légère brume rend difficile l’orientation, que ce soit le jour avec le soleil, ou la nuit avec les étoiles. Toutes les lueurs naturelles sont tamisées et on n’y voit guère plus loin qu’à une cinquantaine de mètres. Larmin paraît très inquiet quant à l’origine du mal de cette partie de la forêt. Pour ma part, j’ai réussi à identifier plusieurs espèces d’arbres, malgré leur état de décomposition avancée, ce qui ne me laisse plus de doute : on y retrouve les mêmes essences que celles qui ont été notées comme présentes en Ocharon. Finalement, nous avons découvert d’étranges traces de pas, caractéristiques d’un grand félin, bien que nul animal de la sorte n’ait été observé dans la région. Nous restons néanmoins aux aguets.

 

  Aelyn, Yanir de Meicos

 

  Tout n’est que grisaille et dévastation, comme si un immense incendie avait tout ravagé et que la forêt ne s’en était jamais remise. Nous sommes au cœur de Meilhan Sohlos et Larmin espère voir la « vraie » Ochangwar dès le surlendemain. Un brouillard encore plus épais s’est levé au matin et a duré jusque dans l’après-midi ce qui a grandement retardé notre route.

 

  Selyn, Yanir de Meicos

 

  Cela m’a fait grandement plaisir de revoir Larmin arborer un nouveau sourire d’espoir, lui qui semblait déprimer au même rythme que les troncs de Meilhan Sohlos. Juste avant la fin du crépuscule, la brume s’est totalement dissipée, et une lueur émeraude nous est parvenue au loin, annonçant une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que nous sommes tout proches de la véritable Ochangwar, celle qui interdit toute entrée de par sa muraille naturelle. La mauvaise, c’est que nous nous retrouvons avec un jour d’avance par rapport à ce qui avait été estimé. Daroan pense que nous avons légèrement dévié notre chemin vers le nord, alors que nous devions maintenir un azimut ouest tout au long de la traversée de Meilhan Sohlos. Quoi qu’il en soit, demain, nous percerons les mystères d’Ochangwar.

 

  Oksyn, Ftohir de Meicos

 

  Je savais qu’Ochangwar allait être la mission la plus surprenante de toutes celles que nous avions faites jusqu’alors, mais je ne m’attendais pas à un tel retournement de situation.

  Tôt dans la matinée, nous avons entendu un cri bestial que nous ne sommes pas parvenus à identifier. Larmin avait bandé son arc, par prudence, mais durant une heure, nous ne vîmes pas le moindre animal se déplacer aux alentours. Pendant tout ce temps, les cris se faisaient de plus en plus proches, mais l’environnement macabre de Meilhan Sohlos pouvait transporter les sons de très loin. Au bout de cette heure, une énorme silhouette se fit voir dans la pénombre. Larmin resta inflexible. Je savais qu’il ne tirerait que s’il y avait réellement un danger. À mesure qu’elle s’approchait, la masse velue se divisa en deux. Une grande et une plus petite. Au sommet de la plus grande, un visage humain s’y dessina. Je m’approchai prudemment et remarquai qu’il s’agissait en effet d’un grand homme, portant une épaisse fourrure brune, accompagné par un gigantesque tigre blanc de l’Eohnis. Je tentai de me contrôler en voyant que le félin, qui s’approchait lentement de nous, ne semblait pas plus hostile que ce qui paraissait être son maître, à ses côtés.

  « Qui êtes-vous ? », avait demandé Larmin sans baisser son arme. Le tigre avait lancé un rugissement de défiance qui ne nous avait pas fait vaciller. Nous, Cavaliers du Lac, avons une résistance sans faille aux provocations.

  « Quelqu’un qui est là depuis bien plus longtemps que vous ! » avait tonné l’homme d’une voix grave.

  « Que voulez-vous ? » avait lancé Daroan.

  « Vous êtes ici… chez moi ! C’est moi qui pose les questions ! » avait-il braillé.

  Je me décidai à prendre la parole :

  « Nous ne sommes que des explorateurs en mission ! Nous ne sommes ni des bandits ni des voleurs. Si vous ne nous attaquez pas, nous ne vous ferons rien ! »

  L’homme avait regardé son tigre, qui avait immédiatement quitté son rictus menaçant. Je me demandai si les traces observées étaient bien les siennes.

  « Rangez vos armes, je ne vous attaquerai pas ! » avait-il déclaré.

  Il s’était alors approché de nous, et avait examiné nos effets personnels. Notre mission était pacifique, nul besoin d’attaquer le premier venu, fût-il accompagné d’un tigre de l’Eohnis.

  « Cavaliers du Lac », observa-t-il.

  « Nos Efnylh vous sont-ils familiers ? » avait demandé Larmin.

  « J’ai déjà eu l’occasion d’en voir un, il y a plusieurs années, quand j’ai découvert le corps sans vie d’un Elfe, gisant près d’une mare d’eau souillée. »

  À cet instant, je vis Larmin empli d’inquiétude.

  « Combien de temps s’est-il écoulé, depuis ? »

  « Je n’ai pas vraiment la notion du temps, mais je dirais qu’au moins un quart de siècle nous sépare de ce jour. »

  Je compris enfin l’origine de l’inquiétude de mon compagnon. Larmin tomba des nues.

  « Arsonel, le frère de mon mentor. Il était parti pour élucider un des mystères entourant Meilhan Sohlos et il n’est jamais revenu. »

  « Il est mort, empoisonné par de l’eau croupie. C’est ce qui arrive quand on tente une telle folie. »

  « À quelle folie pensez-vous ? »

  L’homme avait éclaté de rire.

  « Vous pensez être les premiers à vouloir pénétrer dans la forêt jusqu’en son cœur ? Croyez-moi, vous feriez bien de faire demi-tour tant qu’il est temps. »

  « Qui êtes-vous donc pour nous donner pareil conseil ? » interrogea Daroan.

  « Je suis Vesiar, l’ermite de Meilhan Sohlos. Je suis le seul qui peut prétendre pouvoir survivre ici. »

  « Depuis combien de temps vivez-vous dans cette région ? »

  « Comme je l’ai dit, je n’ai plus vraiment conscience du temps, mais à bien y réfléchir, j’ai dû voir Myeleb pour la dernière fois il y a quarante ans. »

  J’estimai qu’il était temps à présent de nous présenter à notre tour.

  « Je suis Pareh. Et voici mes compagnons Larmin et Daroan. Comme vous l’avez judicieusement deviné, nous sommes membres des Cavaliers du Lac. Nous avons été choisis pour explorer Ochangwar. »

  « Vous n’y trouverez qu’une impasse végétale. Vous vous éveillerez un matin et la nuit tombera alors que vous n’aurez débroussaillé que dix mètres devant vous. »

  « Nous n’avons pas fait tout ce chemin pour faire demi-tour devant des branches et des feuilles ! » annonça Daroan.

  « Prenez garde à ce que vous dîtes ! Vos simples branches et feuilles ont des oreilles ici… »

  « Que voulez-vous dire ? » interrogeai-je.

  Vesiar s’était alors éloigné de nous, son tigre à ses côtés, sans rien ajouter.

  Cela fait maintenant un peu plus d’une heure que nous sommes de nouveau trois sur le bivouac. Daroan arrive juste pour prendre la relève de mon tour de garde en m’annonçant en riant et en parlant de Vesiar : « Je n’ai jamais vu quelqu’un avoir autant de poils sur les bras ! »

 

  Jayn, Ftohir de Meicos

 

  Aujourd’hui, nous avons pu mettre en pratique les dires de Vesiar. En effet, autant Meilhan Sohlos ne pose aucun souci pour y progresser, tant les arbres sont parsemés et le sol absent de vie, autant Ochangwar n’est qu’un amoncellement de plantes, lianes et racines enchevêtrées. Notre première journée au cœur de la forêt fut éprouvante, mais par un miracle inexpliqué, après plusieurs mètres à affronter le mur végétal, l’environnement est devenu beaucoup plus praticable, comme n’importe quelle autre forêt du Continent. Cela a ravivé notre motivation et animé notre envie d’aller de l’avant. Qui sait ce qui nous y attend…

 

  Vethyn, Ftohir de Meicos

 

  Nous sommes, tous les trois, formels. L’impression d’être observés se fait de plus en plus étouffante. Non pas par des animaux de passage, ou par une quelconque oppression naturelle créée par notre imagination — nous en avons vu d’autres —, mais par je ne sais quelle présence, tout autour de nous. Par moment, il nous arrive de distinguer, parmi les nombreux sons de la forêt, un frétillement de feuilles, comme si une chose agile se déplaçait comme le vent.

 

  Keihnyn, Ftohir de Meicos

 

  Daroan s’est blessé en dégageant un passage parmi les broussailles. Il s’est bien entaillé le visage, mais devrait rapidement s’en remettre. Nous n’avons pas beaucoup avancé aujourd’hui, car les vivres commencent à nous manquer, et nous avons préféré user de nos talents pour chercher de quoi compléter un peu nos rations. Au moment où j’écris, nous sommes tous les trois assis, sur le qui-vive, car nous pensons que les présences tout autour de nous ne vont pas tarder à se manifester.

 

  Maefyn, Ftohir de Meicos

 

  Je ne sais par où commencer, tant cette journée est à graver dans les mémoires à tout jamais ! Nous avions avancé nombre d’hypothèses sur la possible présence d’un peuple inconnu au plus profond d’Ochangwar, et voici qu’il se présente à nous. Nous venons de rencontrer les Dryades d’Ochangwada ! Il n’y a, semble-t-il, que des femmes… enfin, d’une allure féminine. Grandes, agiles, se déplaçant avec grâce, le corps entièrement recouvert d’un léger feuillage, offrant le meilleur camouflage forestier du Continent. Elles sont apparues au petit matin, pensant sans doute que nous étions tous les trois endormis, mais j’étais toujours aux aguets. J’ai sursauté, mais voyant qu’elles n’étaient pas armées, j’ai manifesté ma pacifique présence et réveillé mes compagnons. Elles étaient une dizaine, silencieuses, mais je soupçonnai qu’il y en eût d’autres, restées embusquées par sécurité. L’une d’elles s’est approchée de Daroan qui, d’abord méfiant, s’est laissé examiner sa blessure au visage. La Dryade a alors saisi un petit pot en bois et après avoir pris un peu de son contenu – un onguent très certainement – l’a appliqué sur la plaie. Daroan les a remerciées par un léger signe de la tête. Larmin, tout excité, ne put s’empêcher de tenter d’entreprendre un échange verbal :

  « Parlez-vous notre langue ? Tamermrel amon nela ? »

  Je ne m’attendais personnellement pas à une véritable réponse, mais il faut croire qu’à ma grande surprise, la Dryade nous a souri et a simplement déclaré :

  « Sah. »

  C’était incroyable de penser qu’un peuple inconnu puisse maîtriser une autre langue parlée ailleurs sur le Continent. Je m’empressai de demander la raison de ce savoir. Sa réponse ne fut pas celle que j’attendais, mais promettait un bel espoir à l’avenir :

  « Re linon ve Nolmonor. »

  Elle nous invita à la suivre jusqu’à « Nolmonor ». Sans doute leur cité.

  Nous avons marché toute la journée, silencieux, nous lançant de temps à autre des regards mêlant impatience et inquiétude.

 

  Miemyn, Ftohir de Meicos

 

  La seule Dryade qui converse avec nous en Nelodem durant le voyage se nomme Molwa. Les autres restent muettes, car, apprenons-nous, elles ne connaissent pas cette langue. Par moment, Molwa s’adresse à l’une d’elles dans son propre langage : le « Fana ». J’ai pu retenir une des phrases qu’elle a prononcées avant qu’une de ses congénères ne se sépare du groupe, mais sans réussir à avoir la traduction : « Wa eenon el neimee aa elenee. ».

 

  Ikhyn, Ftohir de Meicos

 

  Il y a tant de points que nous souhaitons aborder et les journées de voyage sont si riches qu’elles passent affreusement vite. Alors que nous tentons d’expliquer aux Dryades l’immensité qui entoure Ochangwar, nous sommes surpris par les connaissances de Molwa en la matière. En effet, ce peuple, à première vue isolé et vivant en totale autarcie, semble bien au contraire, être au courant de beaucoup de choses, à commencer par l’existence des Elfes et des Nains, le massif de l’Aeglinor à l’ouest, le désert d’Eryghla au nord, l’Ega Lagoha à l’est et la mer au sud. Elles emploient bien évidemment d’autres noms pour les désigner, mais leur précision ne fait aucun doute quant à leur ouverture par-delà l’orée. De notre côté, nous apprenons qu’il y a, disséminées dans toute la forêt, non pas une, mais quatre cités. « Nolmonor », la plus grande de toutes, est située en son cœur. Non loin de là se trouve « Rinandi », où un immense lac forestier alimente ce qui deviendra le Cal, en quittant Ochangwar. D’ailleurs, un nouvel élément qui démontre le rapprochement entre le monde extérieur et les Dryades, est que la troisième cité se nomme « Calmona » et se situe quelque part au sud de la forêt, au bord du Cal. Enfin, au nord, se trouve « Meyaniel ».

  Nous sommes tous ravis d’avoir pu découvrir, avant l’heure, la source du Cal. Dans l’absolu, notre mission pourrait être terminée, mais il nous faut d’abord la voir par nous-mêmes. Et surtout, comment passer à côté de ce premier contact entre peuples du Continent ? Dryades, Elfes, Nains et Humains réunis pour un instant historique. Rien qu’à l’écrire, j’en ai mes doigts qui frétillent. Demain, nous rencontrerons « La Dame des Cimes », celle qui semble être à la tête des Dryades.

  La nuit va être longue…

 

  Dolymyn, Ftohir de Meicos

 

  Les Dryades qui nous ont suivis sont en réalité un groupe de sentinelles qui veille le long des frontières. Nous n’avons pas vraiment compris quel était le but de leur surveillance et si cela relevait de la méfiance ou de la simple reconnaissance. Quoi qu’il en soit, lorsque nous sommes arrivés à Nolmonor, la première chose qui nous a frappés tous les trois est que tout n’était que forêt. Il n’y avait, autour de nous, que de grands arbres aux épais troncs. Aucune habitation, aucun signe de vie autre que celui de la nature. Molwa s’est mise à rire en nous conseillant de lever les yeux. À cet instant, nous avons compris le sens de « Dame des Cimes ». Au-dessus de nous, à une bonne centaine de mètres, nous devinâmes dans le contre-jour matinal de gigantesques constructions. Toute la cité était bâtie ainsi. Même Larmin, originaire de Sohlamarghae, n’en revenait pas de la prouesse architecturale des Dryades.

  « Re meon so yleramrel ! », « Montez et vous verrez ! » nous a conseillé Molwa.

  Et comment !

  Nous avons suivi le groupe pour atteindre un passage enclavé dans un gigantesque tronc, dans lequel avait été creusé un escalier qui montait en colimaçon jusqu’au sommet. Après dix bonnes minutes, la libération et la lumière ! La cité de Nolmonor, perchée sur la canopée d’Ochangwar, s’offrait à nous. Des dizaines de Dryades s’approchèrent, certaines vinrent nous toucher, comme si elles étaient en train de rêver. Nous ne nous attendions pas à cela, mais ce qui est certain, c’est que nous avons vécu la plus belle journée de notre existence.

  Alors qu’une foule commençait à se former, Molwa nous invita à la suivre jusqu’à un promontoire, construit autour du sommet d’un pin. De là, elle nous montra, le lac source du Cal en contrebas. Puis, en levant le regard, nous découvrîmes par ce magnifique soleil, Rinandi, au loin, ainsi que Calmona. De l’autre côté, encore plus loin, tellement loin qu’il fallait plisser les yeux pour la deviner, Meyaniel. Toutes avaient été agencées de la même manière, afin de surplomber la forêt. Elles n’étaient qu’un point sombre qui formait un bourrelet sur la canopée, mais on imaginait malgré tout, le caractère imposant des autres cités.

  Molwa nous amena tout au sommet du plus grand des bâtiments, celui qui surplombe Ochangwar même, et qui donne le vertige à ceux qui n’y sont pas habitués. Nous fûmes présentés à La Dame des Cimes, une Dryade d’une incroyable beauté, inséparable d’une chouette qui l’accompagnait. Elle nous accueillit chaleureusement et dans un Nelodem parfait, nous confia que son peuple devait sa connaissance de cette langue aux bandits du Doradur. En effet, les Dryades avaient retrouvé beaucoup de marchandises volées puis cachées dans la forêt. Certaines étaient des manuscrits qui traitaient de l’apprentissage du Nelodem et, avec les centaines d’années d’étude, elles purent, pour certaines, le maîtriser. La Dame des Cimes ajouta que nombre de pigeons voyageurs se perdaient en Ochangwar, et que leurs messages alimentaient les connaissances sur le monde extérieur.

  Après avoir longuement échangé sur une myriade de points, elle fit appeler trois de ses suivantes. Chacune était munie d’un objet, qui s’avérait être en réalité un présent pour nous. Daroan reçut un anneau sculpté en « Nalgeyar », un bois que nous ne connaissions pas, mais dont la solidité « équivaut celle de n’importe quel métal », selon les dires de la Dryade. Larmin se vit remettre un diadème, également en bois, qui dégageait une odeur apaisante. Enfin, mon tour vint et je reçus des mains de la Dame des Cimes, un grand manteau. Un manteau en écorce de Chêne de Vie. Je la remerciai et m’empressai de l’essayer. Je m’attendais à ce qu’il soit rugueux et plutôt lourd à porter, mais il n’en fut rien. En réalité, il est d’une incroyable légèreté, et semble s’adapter au corps, tout en procurant chaleur et confort.

  « On a tous notre propre carapace, qu’elle soit au fond de nous, ou autour de nous, comme ce manteau. »

  C’est ce qu’elle me déclara, sans doute après avoir remarqué mon air agréablement surpris.

  Nous nous vîmes déconcertés, car nous ne nous attendions pas à cette situation et n’avions rien à offrir en échange. D’un commun accord, nous décidâmes de céder chacun notre dague, ornée du symbole de notre guilde. Nous estimions que c’était ce dont nous pouvions le plus nous séparer, sans pour autant offenser notre hôte par un possible déséquilibre de valeurs. Évidemment, nous savions qu’ici, la notion de « valeur » perdait de son sens. La Dame des Cimes accepta simplement les présents et nous invita à nous joindre à sa tablée.

  Nous y apprîmes encore beaucoup de choses qui ne rentreraient pas toutes sur ces pages si je devais être exhaustif. Une fois le repas fini, elle nous confia qu’il serait sage de repartir dès le lendemain. Ne voulant point offenser un peuple tout entier, nous ne nous fîmes pas prier et acceptâmes après moult remerciements. Nous allons dormir au plus près des étoiles, surplombant ce surprenant jardin qu’est Ochangwar et, au matin, nous reprendrons notre route avec tant de choses à partager.

 

  Aelyn, Ftohir de Meicos

 

  Je suis quelque part, blotti contre la racine d’un hêtre. Je suis seul et totalement désorienté.

  Alors que nous avions pris congé de la Dame des Cimes, à peine étions-nous descendus des arbres qu’un groupe de Dryades nous a sauvagement attaqués. Elles étaient méconnaissables, transcendant l’incarnation même de la bestialité. Armées d’arcs, de lances et de sabres en bois affûtés, elles nous ont pris par surprise. Daroan et Larmin n’ont pas eu le temps de s’échapper et ont été sommairement exécutés. J’ai pu éviter les attaques en m’enfuyant et, grâce à mon manteau d’écorce, j’ai pu rester camouflé à l’endroit où je suis actuellement. Toutes ces années d’aventure, et tout se termine au paroxysme de notre vie, là où la mort semblait jusqu’alors inexistante.

  Pourquoi cela s’est-il passé ainsi ? Qu’avons-nous fait de travers ? Est-ce finalement le sort réservé à tous ceux qui croisent le regard sylvestre de la Dame des Cimes ? Vais-je réussir à y survivre ? Ce sont peut-être mes derniers écrits, alors autant écrire jusqu’au bout.

 

  Selyn, Ftohir de Meicos

 

  Tétanisé d’effroi, je n’ai pas remarqué que j’avais été blessé à la jambe, certainement par une flèche qui m’a profondément lacéré le mollet. J’ai réussi à bander ma plaie, mais ma progression pour sortir de cette forêt va être difficile, d’autant que plus je me rapproche de l’orée, plus la végétation se densifie. J’aimerais tellement espérer être encore vivant juste parce que les Dryades ont décidé de me laisser sain et sauf, mais je n’ose me retourner pour vérifier si je ne suis pas poursuivi.

 

  Miemyn, Astir de Meicos

 

  Je n’ai pas pu écrire ces six derniers jours, car le temps et les forces me manquaient. J’ai finalement réussi à sortir d’Ochangwar, non sans mal. Meurtri par cette fuite et par la disparition de mes compagnons, je me souviens simplement m’être effondré, à peine après avoir fait le premier pas dans la familière région de Meilhan Sohlos. Je suis, aujourd’hui, dans la cahute de Vesiar, qui m’a découvert et soigné durant tout ce temps. Je pense que demain, je serai suffisamment remis pour partir et quitter à jamais cette région de malheur.

 

  Selyn, Astir de Meicos

 

  Les Dryades, qui semblaient si accueillantes, ont assassiné mes compagnons. Vesiar, qui semblait très malveillant, m’a sauvé la vie. La situation est tellement absurde que c’est à croire que le destin a voulu se jouer de nous.

  Ainsi se termine l’histoire de Pareh, Larmin et Daroan, les pionniers qui ont, pour certains, payé de leur vie, la découverte de la source du Cal, des Dryades, et de la nature imprévisible d’Ochangwar.

  Puissent-ils trouver le repos éternel.